Destination du bail commercial hyperspécialisée : comment votre bail peut faire capoter la vente (ou l'achat) de votre restaurant

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Vous avez investi 185 000 € dans votre restaurant.
Mais au moment de vendre… impossible.
Pas parce que le fonds n’est pas rentable. Pas parce qu’il n’y a pas d’acheteur.
Mais parce que votre bail commercial vous l’interdit.

Pourquoi ?
Une seule phrase dans votre contrat :

« Restauration autour du bagel, sans extraction, avec offre accessoire de pâtisseries. »

Une clause de destination hyperspécialisée.
Et c’est tout votre projet de revente qui s’effondre.

Une arme silencieuse : l’hyperspécialisation de la destination

Depuis plusieurs mois, on voit fleurir dans les baux commerciaux du secteur restauration des clauses de destination de plus en plus étroites :

  • « Restauration rapide autour du poké bowl, sur place et à emporter, sans cuisson. »
  • « Coffee shop spécialisé dans les boissons à base de matcha et pâtisseries. »
  • « Cuisine végétarienne, à base de produits bio, sans gaine d’extraction. »

❌ À première vue, rien d’illégal.
✅ En réalité, c’est une technique contractuelle pour verrouiller la cession du fonds.

Ce que dit le droit : le bail suit le fonds (en principe)

En cas de cession de fonds de commerce, l’article L.145-16 du Code de commerce prévoit que le bail est transmis automatiquement au cessionnaire, sans que le bailleur puisse s’y opposer, à condition que l’activité exercée reste dans le cadre de la destination prévue au bail.

Cela signifie que:

  • ✅ Le bailleur ne peut pas s’opposer à la cession si l’activité reprise est conforme à la destination.
  • ✅ Le consentement du bailleur n’est pas requis dans le cadre d’une cession de fonds.

Mais… c’est ici que l’hyperspécialisation entre en jeu.

Une clause d’agrément déguisée

Prenons un exemple terrain :

Vous tenez un bar à poké depuis 5 ans.
Un restaurateur vous propose de racheter le fonds. Il veut y faire une offre 100 % bowls chauds, type bibimbap.
Le fonds est identique : clientèle, agencement, pas de gaine, vente à emporter.
Mais l’activité sort de la destination « poké bowl ».
❌ Le bailleur peut bloquer la cession.
❌ Ou exiger une demande de déspécialisation (avec les frais qui vont avec - en pratique je vois passer jusqu'à 10.000 euros de frais de déspécialisation).

Résultat : vous vous retrouvez à devoir obtenir l’accord du bailleur, alors que vous êtes en droit de vendre votre fonds.

En pratique, la clause de destination devient donc une clause d’agrément camouflée.

Juridiquement, c’est solide

Et c’est là que réside la difficulté : aucune règle n’interdit au bailleur de limiter la destination dans le bail.

Tant qu’elle est définie de manière précise et acceptée librement au moment de la signature, la clause est valable.

Le cédant peut demander une déspécialisation, mais cela implique :

  • Une procédure formelle (article L.145-47 et suivants du Code de commerce)
  • Un délai de plusieurs mois
  • Une prise de risque (refus, indemnité, révision du loyer…)

Autrement dit : un obstacle dissuasif pour tout acquéreur.

Pourquoi c’est un enjeu stratégique pour les restaurateurs ?

1. Cession bloquée = fonds dévalorisé

Impossible de vendre à un restaurateur “voisin” (pizza, burgers, restaurant traditionel…) si la destination est trop étroite.

2. Risque d’impasse au départ

Le restaurateur reste enfermé dans son concept initial.

3. Clause souvent ignorée à la signature

Beaucoup de porteurs de projet signent un bail sans assistance juridique, pensant que la “destination” est une formalité.
En réalité, c’est une bombe à retardement.

Comment se protéger ?

Voici 3 réflexes à avoir avant de signer votre bail commercial :

✅ 1. Éviter l’hyperspécialisation

Demandez une formulation large du type :

« Restauration rapide sur place et à emporter, sans extraction, incluant toutes activités accessoires liées à l’exploitation. »

✅ 2. Négocier une clause de souplesse

Intégrer une phrase du type :

« La cession du fonds à un professionnel exerçant une activité voisine ou comparable ne pourra être refusée par le bailleur. »

✅ 3. Faire relire le bail par un avocat spécialisé

Un œil extérieur permet d’anticiper les blocages et de rééquilibrer les rapports de force avec le bailleur.

En conclusion

L’hyperspécialisation de la destination dans les baux commerciaux est une dérive dangereuse.
Elle transforme un simple encadrement d’activité en véritable clause d’agrément déguisée, sans que les restaurateurs en soient conscients.

Avant de signer, faites-vous accompagner.
Et si vous êtes sur le point de céder : faites auditer votre bail.

👉 Prenez rendez-vous pour une relecture stratégique de votre bail commercial.
Ne laissez pas une ligne de contrat bloquer tout votre projet.

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